17 septembre 2012

La grande déglingue

Quel plaisir de voir que ce blog, quasi à l'abandon (tout est dans le "quasi", vous voyez, vous étiez mauvaise langue!), sert aujourd'hui à ceux qui cherchent encore la bonne orthographe du mot "d'abord". Et c'est ainsi que les mots les plus recherchés sont d'abord "d'abbord (sic)", "d'abord", puis "je hais mon maitre de thèse", "remerciements originaux thèse", et plus inquiétant, "dose maximale de Guronzan par thèse". 

Voilà, vous voyez, depuis 2005, rien n'a changé et les étudiants sont toujours bien démunis devant leurs pages blanches et celui-celle qui va avoir l'immense joie de les relire en avant-première (là, j'aurais ajouté un "En avant-première, Yepeee!", mais ça aurait été exagéré, maintenant que je sais moi aussi bien ce que ça fait, maintenant, de relire des mémoires d'étudiants au dernier moment), un peu comme moi aujourd'hui, devant un article qu'il faudrait pourtant que j'arrive à remplir de très exactement 5.000 mots alors qu'il n'y a même pas Masterchef à la télé ce soir pour me motiver, en discret bruit de fond. Car après tout, le respect du produit, le mélange des textures, les cuissons réussies, la générosité dans les plats; c'est aussi un peu ce qui doit se retrouver dans l'article. Sans oublier le fameux piment d'Espelette, que je mets en général en exergue de l'article (comme si elle publiait souvent, genre on y croit...), sous forme de citation rigolote, afin de captiver le public ("toi, mOon poublic!"), dès l'accroche.

Bon, là, évidemment, je ne vous narre pas la recette ratée que j'ai présentée à un éditeur. Il ne s'agissait pas d'article mais de livre. Sur l'Europe. Bon ok, le produit de départ n'est pas facile à cuisiner. Voire un peu ingrat. L'Europe, c'est un peu comme les tripoux. C'est bon, au final, mais il faut pouvoir avoir le courage d'aller au delà de l'odeur. En fait, si le plat n'était pas mauvais, j'avais en fait complètement loupé le dressage de l'assiette. C'était complètement à côté de la plaque. "Mais non coco, faut pas mettre "Europe" dans le titre, ça va pas se vendre ça, t'y es pas du tout là !!". Un peu comme si on me reprochait ce qu'on reproche aux grands restaurants un peu chers, lorsqu'il n'y a pas grand chose dans l'assiette. "Rosace croquante de girolles déglacées à l'espurma façon grand'mère". C'est un peu comme si je lui apportais un champignon de paris coupé en lamelles au milieu de l'assiette. C'est vrai qu'en soi, c'est pas forcément immédiatement très parlant.

" Tu n'y es pas là, il faut mettre un titre choc, un titre qui parle!
- Mais il me parle bien moi, ce titre.
- Tu veux rire ou quoi ? Avec Europe dedans ? Parler ? Mais à qui ? Parler à tes collègues ? ("hahahaha", (rire sardonique qui se termine en toux grasse dans un nuage de fumée de gros cigare) - bon ok, là,  je caricature un peu)
- Non, mais quand-même, le mot n'est pas inconnu des gens à ce point. Je n'ai pas mis le mot "phénoménologie" ou "historiographie" dans le titre, j'ai fait un effort qui m'a coûté, quand-même.
- On s'en fout coco, ce qu'il faut, c'est du chaud, c'est du choc! Sur tes sujets, même la vie sexuelle de Schuman, on s'en tamponne le coquillard avec un pinceau grand comme ça (dit-il en écartant ses petits bras graisseux comme un albatros  poliomyélitique), c'est dire si l'Europe ça fait pas vendre!
- ...
- Il faut tenter le lecteur. Il faut qu'il aille au delà de la première page. Il faut qu'il aille au moins tourner la marchandise et voir la quatrième de couverture pour voir au moins si t'es bonne, et si possible qu'il l'ouvre, qu'il se sente happé par le produit. T'es marrante toi, on n'est pas chez l'Abbé Pierre ici ! On ne fait pas dans les bonnes œuvres pour le simple plaisir de te faire effacer toutes tes notes de bas de pages!
- Chépa alors... vous voulez quoi ? "l'Europe expliquée à mon fils" ? un truc du genre ?
- Mais non, t'y es pas du tout. Ca, c'était il y a dix ans maintenant, c'est ring'! T'as pas un truc choc à dire ? Un truc du genre "Europe: La grande déglingue" ou "Europe: la grosse arnaque" Ça claque pas mal ça, non ? Et puis, c'est ce que tu veux dire, en gros, nan ?
- ...oui, non, enfin... c'est pas trop ça en fait le truc, c'est plutôt que... 
- Bon, attends, explique clairement alors! Vous êtes comme ça, vous les universitaires, incapables d'être un peu clairs. Parce que j'ai lu tes 10 pages là. Bon et alors, c'est quoi le pitch finalement ? C'est ça, non ?
- Non, écoutez tant pis, je crois que j'ai déjà abusé de votre temps. Merci tout de même, je vais y réfléchir.
- Ah bah c'est ça, c'est trop dur pour les intello, c'est ça ?
- Non non, laissez-moi partir maintenant monsieur. S'il vous plaît. Ouvrez cette porte, je suis un peu claustrophobe, enfin je crois. (à la limite des sanglots).
- Ouais c'est ça, rappelle moi de ne jamais envoyer mes gosses à la fac hein!

Voilà, l'épreuve sous pression n'avait pas déjà commencée que j'étais éliminée - voire que je m'étais éliminée de moi-même de la course. Lame orange, tablier noir, tout ce que vous voulez. Bref, envoyez 1 par SMS pour me sauver tout en chantant l'internationale et en tournant trois fois sur vous-même.